J'AURAIS MIEUX FAIT D'UTILISER UNE HACHE
Collectif Mind The Gap
PLONGÉE DANS LE GRAND FRISSON...
Madeleine Béranger
Le Collectif Orléanais Mind The Gap présentait les 30 et 31 janvier au CDN de Tours son troisième spectacle : J’aurais mieux fait d’utiliser une hache. A grand renfort de bruitages et de litres de faux sang, les jeunes interprètes du collectif se sont lancés le défi scénique de rendre hommage au cinéma de genre. Et c’est un pari réussi !
Voilà une forme bien étonnante que ce spectacle, que l’on pourrait qualifier d’ovni théâtral tant il se démarque par l’originalité de sa construction et son esthétique singulière, « de bric et de broc ». Sur le plateau, un amoncellement de cables, de vieilles lampes et de projecteurs, de micros et d’objets vintage, placés tout autour d’un espace cuisine, à mi-chemin quant à lui de la cuisine Ikea et du garage abritant de vieux outils rouillés. Cette scénographie pour le moins intriguante signée Clémence Delille (et sculptée habilement par la création lumière de Quentin Maudet) nous place d’emblée dans l’univers loufoque et singulier du collectif qui a pensé son spectacle en deux parties.
Le spectacle s’ouvre sur une séquence mystérieuse en pleine forêt, entièrement bruitée par les interprètes, dans laquelle une jeune bande de scouts établit un camp pour la nuit. Nous sommes plongés d’emblée dans un paysage sonore réalisé en direct à la perfection et non sans un certain degré d’humour : on y bruite des bruits de pas à la biscotte, on y fait crépiter un feu avec du papier bulle, on s’y prend une averse en claquant des doigts. Nous sommes progressivement embarqués dans ce récit glaçant, certainement adapté d’un fait divers macabre comme on l’apprendra plus tard, dans lequel cette bande de scouts est poursuivie par un tueur (« l’homme à la hache ») dans la forêt.
Dans la deuxième partie, qui constitue le noyau dur du spectacle, changement d’ambiance : une jeune femme, qui n’est pas sans rappeler la protagoniste du film Scream, se prépare à manger (des carottes), seule, dans sa cuisine. La scène est rythmée par plusieurs coups de fil : d’abord celui de son amie, Stéphanie, puis celui d’une voix mystérieuse, celle du tueur, tapi quelque part pour la traquer, jusqu’au moment inéluctable d’un meurtre sanglant au couteau. Ici, on utilise le code désuet et subtilement exécuté par l’interprète Solenn Louër du doublage VF, qui provoque dès le début quelques rires dans la salle, appelant au souvenir des films d’horreur emblématiques des années 90/2000. Et si l’on était sceptique à l’idée que l’on puisse sursauter au théâtre autant qu’au cinéma, J’aurais mieux fait d’utiliser une hache nous prouve le contraire. Le premier meurtre provoque hurlements et rires dans la salle tant le jumpscare est convaincant : en un quart de seconde, le tueur masqué apparait, et le pire advient. Là encore, le son n’y est pas pour rien, on pourra souligner la création sonore d’Estelle Lembert, qui accompagne intelligemment la scène et la montée en tension progressive de l’action.
Mais alors que l’on s’attend ici à un enchainement de tableaux différents les uns des autres, la scène recommence. Les coulisses du tournage se dévoilent progressivement, les autres comédien.nes apparaissent à leur station de bruitage et prennent en charge les voix du téléphone, les bruitages et les effets spéciaux. Nous sommes entrainés dans la machine infernale du meurtre qui, de manière de plus en plus frénétique, nous donne à voir un enchainement de morts toutes plus atroces les unes que les autres (mention spéciale pour les tripes qui provoque dans la salle réactions dégoutées et fous rires). La cuisine se couvre progressivement de litres et de litres de sang, à grand renfort de pistolet à eau (rempli de sang, donc), de giclées de bidon, devant un public hilare face à tant de démesure. La réussite de la séquence tient dans sa grande maitrise des enchainements et dans l’intelligence de sa construction (ou plutôt de sa déconstruction), qui n’a de cesse de déjouer les attentes des spectateur.ices pour mieux les surprendre. Hommage autant au slasher movie qu’au Grand Guignol, où le macabre devient ici jubilatoire et cathartique, en mettant toujours à distance par une pirouette scénique la violence de l’action.
Qu’est-ce qui nous fascine tant dans l’horreur, le gore ? A défaut de vouloir y répondre, le collectif se pose et nous pose la question. Depuis le théâtre antique jusqu’au In Yer Face (chez Kane et Bond) en passant par le théâtre élisabethain, la thématique de l’horreur a toujours été étroitement liée à la question de sa représentation scénique. Dans J’aurais mieux fait d’utiliser une hache, les comédien.nes sautent à pieds joints dans leur sujet et le questionne tout en s’en amusant. Remarquable !
De et avec : Thomas Cabel, Julia de Reyke, Solenn Louër, Anthony Lozano et Coline Pilet
Dramaturgie : Léa Tarral
Création lumières : Quentin Maudet
Création sonore : Estelle Lembert
Scénographie/Costumes : Clémence Delille
Administration et production : Margot Guillerm
Production : MIND THE GAP
Coproduction : Équinoxe – Scène nationale de Châteauroux / Théâtre de Vanves - Scène conventionnée d’intérêt national « Arts et création » pour la danse et les écritures contemporaines à travers les arts / L’Échalier - Atelier de Fabrique Artistique, St-Agil (41) / Théâtre de la Tête Noire - Scène conventionnée d’intérêt national Art et Création - Écritures contemporaines
Accueil plateau / soutiens à la résidence : 108 Maison Bourgogne / Centre Chorégraphique National d’Orléans / Théâtre de Vanves - Scène conventionnée d’intérêt national « Art et création » pour la danse et les écritures contemporaines à travers les arts / L’Échalier, Atelier de Fabrique Artistique, St-Agil (41) / Espace Culturel de Saint Jean de Braye / Théâtre de la Tête Noire - Scène conventionnée d’intérêt national Art et Création - Écritures contemporaines / Antre Peaux dans la cadre du soutien à la résidence / La Pratique, AFA de l’Indre, Résidanses pluridisciplinaires / Le VPK au Volapük / Le Bouillon - Théâtre universitaire d’Orléans.
Maquette présentée lors du festival Fragment (La Loge) au Théâtre de L'Étoile du Nord.
Ce projet a reçu le soutien de : la DRAC Centre Val de Loire (aide à la résidence et aide à la création), la Ville d’Orléans, la Région Centre Val de Loire, la SPEDIDAM et la participation artistique du Jeune théâtre national.
Cette structure a reçu une aide de l’État - ministère de la Culture - au titre du Plan de relance, pour le soutien à l’emploi artistique culturel.